Maladies et affections bucco‑dentaires
Sept maladies et affections comptent pour la plus grande partie de la morbidité bucco‑dentaire : les caries dentaires, les maladies parodontales, le cancer de la bouche, les manifestations bucco‑dentaires de l’infection à VIH, les traumatismes de la sphère bucco‑dentaire, les fissures labiales et le bec‑de‑lièvre, et le noma. Presque toutes ces maladies et affections sont en grande partie évitables ou peuvent être traitées à un stade précoce.
D’après l’étude sur la charge mondiale de morbidité 2016, la moitié de la population mondiale (3,58 milliards) souffrait d’affections bucco‑dentaires, la plus souvent constatée étant la carie des dents définitives.2 À l’échelle mondiale, on estime que 2,4 milliards de personnes souffrent de caries des dents définitives et 486 millions d’enfants de caries des dents de lait.2
Dans la plupart des pays à revenu faible ou intermédiaire, compte tenu de l’urbanisation et de l’évolution des conditions de vie, la prévalence des affections bucco‑dentaires continue à augmenter sensiblement à cause de l’insuffisance de l’exposition au fluorure et des difficultés d’accès aux services de soins bucco‑dentaires primaires. La commercialisation intense des sucres, du tabac et de l’alcool entraîne une hausse de la consommation de produits qui nuisent à la santé.
Caries dentaires
Les caries dentaires apparaissent lorsque le biofilm bactérien (la plaque dentaire) qui se forme à la surface des dents transforme les sucres libres présents dans les aliments et les boissons en acides qui, au fil du temps, dissolvent l’émail et la dentine. Sous l’effet d’un apport constamment élevé de sucres libres et d’une exposition insuffisante au fluorure, et sans élimination régulière du biofilm bactérien, la structure de la dent est détruite, avec pour conséquences la formation de cavités, des douleurs, une moins bonne qualité de vie et, au stade avancé, la chute de dents et une infection systémique.
Maladie parodontale
Les maladies parodontales touchent les tissus qui entourent et soutiennent les dents. Elles se manifestent souvent par un saignement ou un gonflement des gencives (gingivite), des douleurs, et parfois par une mauvaise haleine. Dans les formes les plus graves, la destruction de l’attache qui relie la gencive à la dent et de l’os qui soutient la dent crée des « poches » qui provoquent une mobilité des dents (parodontite). Les maladies parodontales graves, qui peuvent provoquer la chute des dents, figuraient au onzième rang des maladies les plus répandues dans le monde en 2016.2 Les principales causes de maladie parodontale sont une mauvaise hygiène bucco‑dentaire et le tabagisme.3
Chute de dents
Les caries et les maladies parodontales sont les principales causes de la chute de dents. La perte de nombreuses dents et l’édentation (absence de dents naturelles) sont fréquentes et s’observent particulièrement chez les personnes âgées. Dans certains pays à haut revenu, en raison du vieillissement de la population, elles sont l’une des dix premières causes d’années de vie vécues avec un handicap.2
Cancer de la bouche
Le cancer de la bouche englobe le cancer des lèvres et de tous les sites secondaires de la cavité buccale, et le cancer de l’oropharynx. Dans l’ensemble du monde, l’incidence du cancer de la bouche ajustée sur l’âge (cancer des lèvres et de la cavité buccale) est estimée à 4 cas pour 100 000 personnes, mais elle varie beaucoup selon les endroits, de nulle à environ 20 cas pour 100 000 personnes.4 Le cancer de la bouche est plus courant chez les hommes et les personnes âgées, et sa fréquence varie beaucoup en fonction de la condition socio‑économique.Dans certains pays d’Asie‑Pacifique, l’incidence du cancer de la bouche (cancer de la lèvre et de la cavité buccale) en fait l’un des trois cancers les plus courants.4
La consommation de tabac, d’alcool et de noix d’arec (chique de bétel) figurent parmi les principales causes de cancer de la bouche.5,6 Dans des régions comme l’Amérique du Nord et l’Europe, les infections à papillomavirus humain « à haut risque » sont à l’origine d’un pourcentage croissant de cancers oropharyngés chez les jeunes.6,7
Manifestations bucco‑dentaires de l’infection à VIH
On observe des manifestations bucco‑dentaires chez 30 à 80 % des personnes vivant avec le VIH, avec de grandes disparités selon les circonstances, comme l’accessibilité économique du traitement antirétroviral standard.
Ces manifestations comprennent des infections fongiques, bactériennes ou virales, la candidose buccale étant la plus courante d’entre elles et souvent le premier symptôme aux stades précoces de la maladie. Les lésions buccales liées au VIH causent gêne, douleurs, sécheresse de la bouche et restrictions alimentaires et sont une source permanente d’infection opportuniste.
La détection précoce des lésions buccales liées au VIH est utile pour diagnostiquer l’infection à VIH, suivre l’évolution de la maladie, prévoir l’état immunitaire et traiter sans retard. Le traitement et la prise en charge des lésions buccales liées au VIH peuvent considérablement améliorer la santé bucco‑dentaire, la qualité de vie et le bien‑être.9
Traumatismes bucco‑dentaires
Les traumatismes bucco‑dentaires résultent d’un choc sur les dents et/ou sur d’autres tissus durs ou mous situés dans la bouche et la cavité buccale, ou autour d’elles.10 La prévalence mondiale des traumatismes dentaires (dents de lait et dents définitives) avoisine 20 %.11 Ces traumatismes peuvent résulter de facteurs bucco‑dentaires (comme un surplomb important), de facteurs environnementaux (par exemple des aires de jeu ou des écoles mal sécurisées), de comportements à risque et d’actes de violence.12 Le traitement est long et coûteux et peut parfois entraîner la perte de dents, avec pour conséquences des complications affectant le développement facial et psychologique et la qualité de vie.
Noma
Le noma est une maladie nécrotique qui touche les enfants de 2 à 6 ans atteints de malnutrition, d’une maladie infectieuse, qui vivent dans l’extrême pauvreté et dont le système immunitaire est affaibli.
Le noma est surtout répandu en Afrique sub‑saharienne, mais de rares cas sont signalés en Amérique latine et en Asie. Il débute par une lésion des tissus mous (gencives) dans la bouche. La lésion initiale se transforme en gingivite ulcéro‑nécrotique qui évolue rapidement en détruisant les tissus mous, puis les tissus durs et la peau du visage. En 1998, l’OMS estimait que 140 000 nouveaux cas de noma survenaient chaque année.13 S’il n’est pas traité, le noma est mortel dans 90 % des cas. S’il est décelé à un stade précoce, on peut rapidement stopper sa progression moyennant une bonne hygiène, une antibiothérapie et une récupération nutritionnelle. La détection précoce permet d’éviter les souffrances, le handicap et la mort. Les enfants qui en réchappent présentent des déformations faciales graves, ont du mal à parler et à manger, sont en butte à la stigmatisation et ont besoin d’un traitement chirurgical et d’une réadaptation complexes.13
Fissures labiales et bec‑de‑lièvre
Les fissures labiales et le bec‑de‑lièvre sont des atteintes hétérogènes des lèvres et de la cavité buccale qui se présentent isolément (70 %) ou dans le cadre d’un syndrome. Dans l’ensemble du monde, plus d’un nouveau‑né sur 1000 est touché. Bien que la prédisposition génétique soit un important facteur d’anomalies congénitales, d’autres facteurs de risque modifiables comme une mauvaise nutrition chez la mère, le tabac, l’alcool et l’obésité pendant la grossesse jouent aussi un rôle.14 Dans les pays à faible revenu, le taux de mortalité est élevé pendant la période néonatale.15 Avec un traitement chirurgical adéquat, la récupération complète est possible.
MNT et facteurs de risque communs
La plupart des maladies et affections bucco‑dentaires ont les mêmes facteurs de risque modifiables (tels que le tabagisme, la consommation d’alcool et une mauvaise alimentation riche en sucres libres), qui sont communs aux quatre grandes catégories de MNT (maladies cardiovasculaires, cancer, maladies respiratoires chroniques et diabète). En outre, le diabète sucré aurait un lien de réciprocité avec l’apparition et l’évolution de la parodontite.16,17
Par ailleurs, il y a un lien de causalité entre une forte consommation de sucres et le diabète, l’obésité et la carie dentaire.
Inégalités en matière de santé
bucco‑dentaire
Les inégalités en matière de santé bucco‑dentaire sont dues à un large éventail de facteurs biologiques, socio‑comportementaux, psychologiques, sociétaux et politiques interdépendants qui déterminent les conditions dans lesquelles on naît, grandit, vit, travaille et vieillit, à savoir les déterminants sociaux.18
Les affections bucco‑dentaires touchent de manière disproportionnée les personnes pauvres et socialement défavorisées. Il y a une association nette et systématique entre la condition socioéconomique (revenu, profession et niveau d’instruction) et la prévalence et la gravité des affections bucco‑dentaires. Cette association s’observe tout au long de l’existence, depuis la petite enfance jusqu’à la vieillesse et au sein de toutes les populations dans les pays à revenu élevé, intermédiaire et faible. Les inégalités en matière de santé bucco‑dentaire sont donc considérées comme des différences qu’il est possible d’éviter et qui sont injustes et inacceptables dans la société moderne.19
Prévention
Il est possible de réduire la charge des affections bucco‑dentaires et d’autres MNT par des interventions de santé publique dirigées contre leurs facteurs de risque communs, qui consistent :
- à promouvoir une alimentation équilibrée :
- un faible apport de sucres libres pour éviter les caries dentaires, la chute prématurée des dents et d’autres MNT liées à l’alimentation ;
- un apport suffisant de fruits et légumes, qui peut avoir un effet protecteur contre le cancer de la bouche ;
En plus de combattre les facteurs de risque communs aux MNT, il faut lutter contre l’exposition insuffisante au fluorure et certains déterminants sociaux de la santé pour prévenir les affections bucco‑dentaires et réduire les inégalités en matière de santé bucco‑dentaire.
Il est possible de prévenir dans une large mesure les caries dentaires en maintenant en permanence une faible concentration de fluorure dans la cavité buccale. Ce fluorure peut provenir de différentes sources comme l’eau de boisson, le sel, le lait et la pâte dentifrice fluorés. Le brossage des dents deux fois jour avec un dentifrice contenant du fluorure (entre 1000 et 1500 ppm) doit être recommandé.20 Une exposition de longue durée à une concentration optimale de fluorure fait nettement baisser l’incidence et la prévalence des caries à tous les âges.21
Il faut réduire les inégalités en santé bucco‑dentaire en agissant sur les déterminants sociaux d’ordre plus général au moyen de mesures intégrées en amont, en aval et au niveau intermédiaire, comme la fluoration de l’eau, la réglementation de la commercialisation et de la promotion des aliments sucrés auprès des enfants et la taxation des boissons sucrées. Il est également essentiel de favoriser des environnements sains comme les villes‑santé, des lieux de travail sains et des écoles qui s’attachent à promouvoir la santé pour créer un cadre propice à une bonne santé bucco‑dentaire.
Système de santé et couverture sanitaire universelle
En raison de la répartition inégale des professionnels de la santé bucco‑dentaire et de l’absence de services de santé adéquats dans la plupart des pays, l’accès aux services de santé bucco‑dentaire primaires est souvent insuffisant. La couverture globale par les services de santé bucco‑dentaire pour les adultes qui disent en avoir besoin s’échelonne entre 35 % dans les pays à bas revenu, 60 % dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, 75 % dans les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et 82 % dans les pays à haut revenu.22 La demande dépasse les capacités du système de santé dans la plupart des pays à revenu faible ou intermédiaire. De ce fait, une grande partie des affections bucco‑dentaires ne sont pas traitées et, dans une large mesure, les besoins des patients ne sont pas satisfaits. En outre, même dans les pays à revenu élevé, les traitements dentaires coûtent cher et représentent en moyenne 5 % des dépenses de santé totales23 et 20 % des dépenses de santé à la charge du patient.24
L’OMS définit la couverture sanitaire universelle comme une « situation dans laquelle toutes les personnes et toutes les communautés bénéficient des services de santé dont elles ont besoin sans se heurter à des difficultés financières ».25 À la lumière de cette définition, on peut dégager trois domaines essentiels pour instaurer la couverture sanitaire universelle :
- services de santé bucco‑dentaire essentiels et intégrés ;
- personnels de santé bucco‑dentaire adaptés aux besoins de la population et aux déterminants sociaux de la santé ;
- protection financière et augmentation du budget alloué aux soins de santé bucco‑dentaire.
Action de l’OMS
Les actions de santé publique visant à combattre les affections bucco‑dentaires sont plus efficaces lorsqu’elles sont intégrées aux activités de lutte contre d’autres MNT et dans les programmes de santé publique nationaux. Le Programme mondial OMS de santé bucco‑dentaire harmonise ses travaux avec ceux entrepris au titre de la lutte mondiale contre les MNT et de la Déclaration de Shanghai sur la promotion de la santé dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030.27
Le Programme mondial OMS de santé bucco‑dentaire apporte son concours aux États Membres :
- en mettant au point et en diffusant des matériels de sensibilisation polyvalents destinés à renforcer l’engagement des responsables politiques et d’autres acteurs au niveau mondial en faveur de la santé bucco‑dentaire ;
- en renforçant les capacités et en fournissant une assistance technique aux pays afin qu’ils adoptent une approche prenant en compte toute la durée de la vie et des stratégies visant l’ensemble de la population pour réduire la consommation de sucre, combattre le tabagisme et promouvoir l’utilisation de pâte dentifrice fluorée et d’autres vecteurs de fluorure, en concentrant les efforts sur les populations pauvres et défavorisées ;
- en contribuant à renforcer les systèmes de santé bucco‑dentaire qui suivent une approche orientée sur la personne dans le cadre des soins de santé primaires ;
- en renforçant les systèmes d’information sur la santé bucco‑dentaire et la surveillance combinée à celle d’autres MNT pour mettre en évidence l’ampleur et les conséquences du problème et suivre les progrès accomplis dans les pays.
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